Interview de Gérard MESTRALLET, Président de ENGIE
L'interview a été conduite dans le bureau de Gérard MESTRALLET par Conrad ECKENSCHWILLER, expert contributeur Développement durable / Énergie de Régions en mouvement.
Conrad ECKENSCHWILLER
Monsieur le Président,
Je suis très heureux, et vous en remercie vivement, que vous me permettiez, grâce aux années où j'ai eu la chance d'être un de vos collaborateurs directs, de vous poser des questions sur les conséquences pour les Régions de France des bouleversements technologiques et socioéconomiques en cours et à venir, dont le rythme va s'accélérer. Et donc des opportunités à saisir et des risques à éviter pour les régions françaises. Ne rien faire n'étant pas une solution. Votre expérience professionnelle dans différents domaines essentiels à la vie, internationale, environnementale, associative, dans les domaines privés et publics – j'en oublie – est impressionnante ; j'aurai donc plusieurs thèmes à aborder. Commençons, si vous le permettez, par votre activité professionnelle principale, actuelle, de Président de ENGIE, leader mondial dans l'énergie y compris dans les énergies renouvelables.
Vous êtes partie prenante à la révolution (aux révolutions ?) énergétique en cours, qui ne concerne pas que le passage aux énergies renouvelables, mais aussi les économies, la récupération (économie circulaire), les smart grids, le photo voltaïque – y compris sur son propre toit, le transfert d'électricité par internet demain ? etc.
Pouvez-vous s'il vous plaît nous éclairer sur ce qui sera et ne sera pas, et donc sur les conséquences pour chaque région française ? Sur ce qu'il convient d'anticiper ? Sur les conséquences pratiques et sociétales de cette nouvelle révolution industrielle, en particulier pour chaque région sur les conseils à lui donner dans ce domaine énergétique vital « pour ne pas être décrochée » par passivité ou attentisme.
Gérard MESTRALLET
Il est en effet essentiel de comprendre ce qui se passe aujourd'hui au plan mondial.
Nous vivons en fait trois révolutions : technologique, digitale et culturelle.
Technologique d’abord : alors qu'il ne s'était pas passé grand-chose pendant 50 ans dans le secteur de l'énergie, des modifications radicales interviennent : solaire, éolien, biomasse, géothermie douce (micro géothermie) dont on parle moins… Ces nouvelles technologies sont très décarbonées et introduisent une miniaturisation des équipements, ce qui est fondamental pour des acteurs comme les Régions. Jusqu'alors, la tendance était au grossissement – jusqu’à 1 500 MW pour les grosses centrales – le monde de l’énergie était un monde de géants, avec peu d’acteurs, où régions et villes ne pouvaient guère exister. Puis la taille des installations électriques est passée du gigawatt au mégawatt (éoliennes, fermes solaires), puis au kilowatt (panneau solaire) et même au watt, pour recharger son portable par exemple ! Un facteur de réduction d'un million et même un milliard !
Ainsi, chacun peut devenir producteur d’énergie. Cette miniaturisation est aussi importante que le caractère renouvelable de l'énergie. Elle donne aux acteurs, et tout particulièrement aux Régions, une véritable capacité de décider de leur avenir énergétique.
Prenant en compte cette évolution, ENGIE a déjà développé, au profit des collectivités territoriales, des contrats de « diagnostic de situation énergétique » proposant à leurs responsables les options possibles.
Digitale ensuite : l’énergie est bien évidemment touchée, comme tous les secteurs. Cette révolution concerne notamment chez ENGIE nos relations avec les clients, et la gestion de l'ensemble de nos bâtiments et usines : les capteurs permettent de mesurer et d'agir en conséquence afin d'optimiser notre efficacité énergétique.
Enfin, trop souvent oubliée, nous connaissons une révolution culturelle : le monde entier a pris conscience des enjeux climatiques, le grand succès de la COP 21 en témoigne. Les gouvernements, mais aussi les entreprises, les villes et les territoires. Chez les individus également, la relation à l’énergie a changé. Chacun veut connaître l'origine de son électricité : nucléaire, charbon, renouvelable… et souhaite même, de plus en plus souvent, produire lui-même.
Dans ce cadre, les collectivités locales, dans leur rôle de chef de file de la transition énergétique et à travers les grands schémas régionaux, sont amenées à jouer un rôle déterminant.