Du Développement Durable Vert au Développement Durable Bleu

jeudi 19 janvier 2017 Écrit par  Conrad Eckenschwiller

Cinq ans pour réussir

Une contribution précédente – Développement durable : le pouvoir aux régions exposait pour les Régions la chance historique représentée par la demande et les besoins actuels « verts » et donc la nécessité pour chaque Région de traiter tous ces sujets qui la concernent de manière urgente et professionnelle : condition nécessaire à la réussite d'une Région.

Nécessaire mais pas suffisante car cette urgence ne doit pas conduire à deux fautes lourdes de raisonnement et de logique :

  • le Développement Durable n'est pas un objectif mais un moyen : l'objectif est et demeure la qualité de vie de l'Homme (avec un grand H) ;
  • l'accent a été placé – commencement raisonnable  depuis deux décennies sur la Nature et l'Environnement, avec le point culminant des succès des COP21 puis 22 où la France a joué un rôle majeur. Mais le Développement Durable "vert" ne représente qu'une partie des moyens à mettre en œuvre par une région pour atteindre l'objectif d'amélioration constante de la qualité de vie des hommes et des femmes qui y vivent. Un environnement « vert » suffit-il quand on est chômeur, ou très mal logé, ou mal soigné ?

On appelle Développement Durable Bleu un ensemble de moyens de progrès, qui incluent évidemment le Vert, mais visent beaucoup plus largement les grands axes qui conduisent vers l'horizon du développement humain.

Ces moyens de progrès sont aujourd'hui listés dans deux documents des Nations Unies :

  • le Global Compact avec le principe d'engagements volontaires de progrès annuels pour les entreprises dans dix domaines, dont les Droits de l'Homme, les Conditions de Travail, la Lutte contre la Corruption et évidemment le Respect de l'Environnement ; déjà plus de 1000 entreprises françaises ont adhéré à cette démarche de progrès volontaires annuels qui sont publiés et donc accessibles et imitables ;
  • les 17 Objectifs du Développement Durable pour les pays et les entreprises qui couvrent des domaines comme la Lutte contre la Pauvreté et contre les Inégalités, l'Éducation, le Travail, le Travail décent, la Santé… Là aussi, des échanges réguliers de bonnes pratiques sont organisés. L'apprentissage, mine de progrès social, associant seniors et jeunes, en fait partie ; mon expérience vécue de dirigeant d'entreprises germaniques me permet de juger du potentiel de progrès dans beaucoup de régions françaises.

Ces domaines potentiels de progrès pour l'Homme dans sa Région sont autant d'opportunités à saisir dans la mondialisation en cours qui va être élargie et accélérée par les bouleversements apportés par les trois révolutions en marche :

  • révolution numérique qui impacte chaque jour de nouveaux domaines (objets connectés, imprimantes 3D, information et savoir, intelligence artificielle, monnaie virtuelle…) ;
  • révolution énergétique, avec la fin des monopoles nationaux, la multiplication des producteurs territoriaux, « propres », le stockage enfin simple de l'énergie, les smart grids, l'échange entre voisins (demain via Internet ?)…
  • révolution de la politique de santé : davantage de préventif, introduction d'assurances tarifées selon le mode de vie, radio identification (puces RFID) avec des conséquences majeures en éthique…

Révolutions qui vont chaque jour impacter plus profondément le tissu économique et social de la Région et la vie des citoyens et qui, échappant « par construction » au filtre traditionnel de l'État, vont conduire les régions à « jouer des coudes » afin de tirer pleinement parti, ou non, du potentiel de croissance généré par ces évolutions majeures.

Attendre et Subir ou Prévoir et Agir ?

Il revient à chaque Région d'être ou de devenir Partie Prenante aux décisions qui vont la concerner, y compris (surtout ?) en anticipant celles prises hors de la Région et qui auront irrémédiablement des effets directs ou indirects, notamment sur l'emploi en quantité et/ou qualité.

Pour réussir ce Développement Durable Bleu, pour attirer les investisseurs et les talents, développer l'emploi, améliorer le cadre de vie, l'habitat, les transports, les loisirs, la santé… deux impératifs à notre sens : innovation et travail en équipe. Des équipes qui associent les compétences et les champs d'action du public et du privé, qui mobilisent sur des objectifs partagés les acteurs issus de la région, des entreprises, des universités, de la société civile…

Des exemples d'une telle mobilisation existent :

  • dans des Régions européennes (à la fois partenaires potentiels et concurrents des territoires français) qui bénéficient depuis longtemps de structures plus fédérales de droit ou de fait : Bade Wurtenberg, Bavière, Lombardie, Catalogne. On y trouve de beaux exemples de collaboration étroite « Land »-entreprise(s) ;
  • dans des entreprises françaises, adhérentes par exemple du Global Compact, avec d'étonnantes initiatives qui méritent d'être analysées. Mentionnons à titre d'exemples :
    • une formation permanente individuelle (et pas seulement collective) aux emplois de demain dans une entreprise de la révolution numérique de Nantes,
    • un programme spécial pour personnes handicapées, très au-delà du seuil légal, dans une entreprise de produits alimentaires en Vendée,
    • un programme important de prévention Santé dans une multinationale parisienne,
    • une étonnante initiative de récupération alimentaire dans une entreprise nationale de restauration,
    • un bel exemple d'efficacité énergétique dans une entreprise de service bretonne…

Le Développement Durable Bleu, ainsi mis en pratique, apparaît bien comme un remarquable moyen d'assurer une croissance équilibrée et durable de chacune de nos Régions. Il fixe une ambition et donne un cadre stratégique d'action, ciblant les domaines incontournables et associant l'ensemble des acteurs concernés.

Conrad Eckenschwiller

Expert Développement durable et Énergie.

Après des études en France (HEC) et aux États-Unis (Stanford et Harvard), Conrad Eckenschwiller a conduit une carrière industrielle et commerciale dans de nombreux pays, dans plusieurs activités (chimie, pharmacie, textile…), exerçant au sein d'entreprises françaises et internationales diverses fonctions dont Directeur international de grands groupes, Directeur général (Autriche), PDG (Suisse). Il est aujourd'hui, à temps partiel, consultant pour l'Europe Centrale et Orientale, où il a aussi vécu. Il a été entre 2003 et 2013 le Représentant Permanent en France du Global Compact de l'ONU et Délégué Général de l'association Global Compact France (plus de 1 000 entreprises), sous les présidences successives de Jérôme Monod, Bertrand Collomb et Gérard Mestrallet.

L'équipe Régions en mouvement propose aux responsables de Régions, pour leur permettre d'y réfléchir puis s'ils le décident d'y recourir, de conduire pour leur compte, sur le ou les secteurs qu'ils jugent prioritaires pour leur Région, une analyse benchmark des « bonnes pratiques » déjà tentées ou mises en œuvre dans d'autres collectivités territoriales, notamment européennes, afin de nourrir leur réflexion et d'éclairer leurs prises de décision.