CE
Le DG de Daimler a donc ses entrées chez le président du gouvernement de son Land ?
KM
Oui bien sûr, et quelle que soit la couleur politique de ce responsable. Les Länder ont pris la décision de partager en toute occasion les responsabilités relatives à l’emploi et à l’industrie, notamment pour trouver ensemble le chemin du futur.
Et leur action est encore plus nette dès lors qu’ils possèdent une frontière extérieure :
- la Bavière est en relation constante avec la république Tchèque ;
- le Mecklenburg-Poméranie (au nord de Berlin) s'est battu auprès du Bund pour obtenir un élargissement de ses responsabilités dans le domaine naval, notamment pour développer ses liens avec la Pologne ;
- et prenons un exemple d'actualité : le Bade Wurtemberg a tissé des relations avec ses voisins français (région, département, villes de Strasbourg et de Mulhouse) pour travailler sur les évolutions du parc nucléaire français : que faire, ensemble, pour s'adapter à l'arrêt programmé de Fessenheim, quel est le nouvel équilibre à trouver ? Dans ces discussions, le gouvernement fédéral est partie prenante, mais ce n'est pas Berlin le moteur, c'est Stuttgart ! Tous ces acteurs partagent la même responsabilité : faire face aux conséquences des 1600 postes de travail appelés à disparaître. Et Stuttgart se plaint que ses interlocuteurs français n'aient pas la même liberté de décision…
CE
Quels sont dans les régions les sujets qui seront le plus touchés par les évolutions en cours : la santé, la formation, l'énergie ?
KM
Dans notre système fédéral allemand, les universités, l'éducation et la formation professionnelle sont dans la main des Länder. Certes, le niveau fédéral définit un cadre, mais ce sont les régions qui décident et agissent, chacune à sa façon. Les deux révolutions, circulaire et digitale, ne vont rien changer à ça. Par contre, il appartient à chaque Land de réagir, d'accélérer ou non les développements, d'en choisir les moyens. Ce qui va entraîner – a déjà entraîné – une concurrence, une compétition entre eux. Nous en avons un exemple actuel sur l'aide au développement des start up, où il y a compétition, par exemple, entre la Bavière, Berlin, et le Bade Wurtemberg.
CE
Qui jouent sur les incitations fiscales ?
KM
Pas vraiment, car en ce domaine, les responsabilités sont plutôt chez les communes. Et le principal pour une start up, ce ne sont pas les aides à l'installation. Le décisif, c’est l'environnement économique, universitaire, administratif (facilité des règles…), c'est la présence de centres de recherches performants, le plus souvent financés de manière mixte fédéral / Land / industrie. C'est sur cela que se joue la concurrence régionale. Stuttgart doit certainement une grande part de son succès à sa forte concentration de centres de recherche industrie et robotisation. En Bavière, un grand centre d'innovation a été créé et est cofinancé par le Land, des universités et un très gros actionnaire de BMW. Il y a donc concurrence entre les Länder, mais beaucoup plus sur les centres de recherche, les universités et les infrastructures… que sur le plan fiscal.
Je reviens donc à ta question : le point de départ dans chaque Land est : « a-t-on les moyens, avons-nous l'argent pour faire face à ces révolutions ». La motivation du gouvernement du Land est de sauvegarder l’emploi ; l'industrie pense à l'innovation. La réponse appartient à un mariage à cinq : Land, Bund, Universités, Industrie, Syndicats. Par exemple, quand un centre majeur de recherche contre le cancer ouvre avec 2500 chercheurs, ce qui va bien sûr entraîner de nombreuses nouvelles applications industrielles, aucun des cinq acteurs ne peut être oublié. Je pourrais également citer la création d'un centre de recherche sur les cellules de batteries électriques pour les voitures, pour lequel le Bund pousse beaucoup…
CE
Quid des inégalités qui vont apparaître comme conséquence de la digitalisation ?
KM
Je te réponds en 3 points :
- tout le monde en Allemagne accepte que dans un monde global, la digitalisation va de toute façon arriver ;
- la population est consciente que la formation professionnelle est fondamentale pour conforter l'emploi : chacun attend du gouvernement du Land, des entreprises, des chambres de commerce, des syndicats… qu'ils agissent en ce sens ;
- la tendance est aujourd'hui à l'optimisme : les syndicats font beaucoup pour la formation des ouvriers à la digitalisation.
Et, ce sera ma conclusion, je n'anticipe pas de changement significatif sur cette volonté partagée de maintenir, pour affronter au mieux les nouveaux enjeux, les relations étroites tissées entre les Länder, l'industrie, les universités, la recherche et les organisations syndicales.
Le Professeur Docteur Klaus Mangold a fait des études de droit et d'économie dans les universités de Munich, Genève, Londres, Heidelberg et Mayence.
De 1995 à 2003 il était membre du Comité exécutif du Groupe DAIMLER AG et, à ce titre, Directeur général de DAIMLER Services AG.
Depuis 2011, il détient des postes de Président du Conseil de surveillance de TUI AG en Allemagne et de membre du Conseil de surveillance d'autres sociétés comme par exemple CONTINENTAL AG (Hanovre), ALSTOM (Paris) ou BATTEREK NMH (Astana/Kazakhstan). Il est également Président du Conseil de surveillance de ROTHSCHILD Gmbh à Francfort.
De 2000 à 2010, il a été Président de la Commission des relations économiques de l'économie allemande avec l'Europe de l'est.
En 2003 il a fondé à Stuttgart MANGOLD Consulting AG.
Depuis 2015, le Professeur Mangold est Consul Honoraire de la Fédération de Russie pour le Bade-Wurtenberg.
Par ailleurs le Professeur Mangold est Commandeur de la Légion d'Honneur.